2. Positionnement et vision du monde
Section 2: Positionnement et vision du monde
Positionnement
Positionnement nom - masculin | Le positionnement décrit la notion selon laquelle les valeurs personnelles, les points de vue et l'emplacement dans le temps et dans l'espace influencent la manière dont nous comprenons le monde. Votre positionnement est influencé par les contextes sociaux et politiques dans lesquels vous vous trouvez tout en intégrant votre identité. |
Positionality noun | Positionality is the social and political context that creates your identity in terms of race, class, gender, sexuality, and ability status. Positionality also describes how your identity influences, and potentially biases, your understanding of and outlook on the world. - Dictionary.com |
Le concept de positionnement est très lié à celui d’entrecroisement identitaire, car il fait référence à la manière dont nous voyons le monde et à la manière dont le monde nous voit. C’est une notion qui souligne les différentes visions du monde selon le monde dans lequel nous nous trouvons en raison de nos identités (internes, choisies et périphériques) et la façon dont nos identités s’entrecroisent afin de nous ancrer au sein des systèmes de pouvoir et d’oppression qui font partie de notre société.
En prenant conscience de notre positionnement, nous sommes confronté.e.s au fait que notre monde est rempli de nuances. Nous ne pouvons pas comprendre parfaitement les expériences des autres puisque nous n’avons jamais vécu de choses semblables en raison de notre identité. Par exemple, certaines personnes adorent la neige, car celle-ci évoque les vacances et l’approche de Noël. Pour d’autres, comme les personnes en fauteuil roulant, la neige est plutôt une source de stress, car leur capacité de déplacement dépend du déneigement des trottoirs par les municipalités et les propriétaires privé.e.s.
Le positionnement nous incite à éviter les affirmations générales comme « L’hiver, c’est fantastique! » et à dire plutôt « En tant que personne non-handicapée, j’aime l’hiver parce que … ». Ainsi, nous reconnaissons que notre point de vue n’est pas universel, et laissons à l’interlocuteur.rice le loisir d’énoncer sa propre vision du monde en fonction de son positionnement. Cette approche est particulièrement utile pour mener des conversations sur des sujets délicats sur le plan racial comme la police ou la protection de la jeunesse.
La triplicité de l’espace
Notre vision du monde fait référence à la perspective à travers laquelle nous concevons le monde. Nos idées, attitudes, connaissances, opinions et identités influencent notre vision du monde, qui à son tour influence notre façon de prendre des décisions, de travailler, d’attribuer des responsabilités et d’entretenir nos relations. Et pourtant, c’est rare qu’on prenne le temps de s’arrêter pour réfléchir à notre vision du monde.
Vision du monde phrase - féminine | La vision du monde d'un individu est en quelque sorte la synthèse la plus vaste, la plus complexe que peut réaliser ce dernier à partir des myriades d'expériences, de convictions, d'influences, d'interprétations et de leurs conséquences sur la valeur et la signification qu'il attribue aux réalités qu'il perçoit/conçoit. - Pierre Lemay |
Worldview noun | The way an individual or group thinks about and interprets the world around them. - Open Education Sociology Dictionary |
La vision du monde peut être décrite comme un modèle mental de la réalité. Elle comprend un cadre à travers lequel nous pouvons questionner l’ensemble de nos idées et de nos attitudes à propos du monde et de nous-mêmes. Notre vision du monde est forgée par nos caractéristiques héréditaires (identité), nos expériences vécues, nos valeurs, nos attitudes, nos habitudes, etc. Ces éléments constitutifs de notre personne varient d’un individu à l’autre, ce qui veut dire que bien que certains aspects d’une vision du monde puissent être partagés par un grand nombre de gens dans une collectivité, d’autres diffèrent selon l’individu. Par conséquent, nos visions du monde sont à la fois collectives et individuelles. Nous allons aborder ce concept à travers le cadre théorique de la « triplicité de l’espace ».
La triplicité de l'espace est une théorie sur la manière dont les espaces et les lieux sont produits par un amalgame des propriétés physiques d'un emplacement et des marqueurs d'identité de l'individu humain dans ledit espace/lieu. Pour commencer à comprendre cette théorie, nous devons commencer par quelques définitions de base :
Espace géométrique nom - masculin | L'espace se présente dans l'expérience quotidienne comme une notion de géométrie et de physique qui désigne une étendue, abstraite ou non, ou encore la perception de cette étendue. - John D. Lyons |
Space noun | 'Space' can be described as a location which has no social connections for a human being. - Yi-Fu Tuan |
Quand on parle de l’espace, on parle de l’espace géométrique qui désigne une dimension qui n’a aucune valeur ajoutée. Il est plus ou moins abstrait et n'invite ni encourage les gens à le remplir d'humanité. John D. Lyons va plus loin dans cette description et explique que l'espace géométrique est un monde physique supposé, purement conceptuel et indépendant de l'expérience, mais ne l'excluant pas.
Espace conceptuel nom - masculin | L’espace conceptuel fait référence à l’organisation métaphorique de tout ce qui est non-physique dans un espace. - John D. Lyons |
Place noun | 'Place' is more than just a location and can be described as a location created by human experiences. - Yi-Fu Tuan |
L’espace conceptuel, par contre, est essentiellement un espace rempli de significations et de vécus. Il désigne des lieux où les gens vivent. L’échelle de cet espace n'a aucune importance, puisqu’elle est illimitée: on peut parler d’une ville, d’un quartier, d’une région ou même d’un lieu irréel comme un paysage décrit dans un poème. Selon Tuan, un espace conceptuel n’a pas de frontières observables et il est indépendant au passage normal du temps. Selon John D. Lyons, un espace conceptuel fait référence à l'organisation métaphorique de tout ce qui n'est pas physique.
Avec ces définitions en tête, examinons maintenant certaines idées énoncées en 1974 par le célèbre géographe français Henri Lefebvre dans son ouvrage le plus célèbre : La production de l’espace. Dans cette œuvre, Lefebvre avance que chaque espace géométrique (milieu physique) est empreint de sentiments, d’émotions et de significations qui le transforment en espace conceptuel qui a de la valeur ou n’en a pas. Cette transformation découle du fait que chaque espace comporte trois dimensions (alors: la triplicité de l’espace) :
l’espace perçu (les composantes physiques d’un espace) correspond à ce que nous pouvons détecter à l’aide de nos cinq sens : la vue (yeux), le goût (langue), le toucher (peau), l’ouïe (oreilles) et l’odorat (nez);
l’espace conçu (les composantes socioculturelles d’un espace) est créé par les structures sociales du pouvoir définies par les cultures dominantes, ainsi que par la place que l’individu occupe dans ces structures (son positionnement);
l’espace vécu (la signification symbolique de d’un espace) résulte des expériences vécues par une personne, de ses sens, de ses identités et de son utilisation du langage. Parmi les trois dimensions, l’espace vécu est le plus individuel, le plus dynamique et le plus susceptible de changer.
Dans cette théorie, Lefebvre stipule que toutes les réalités spatiales sont également réelles, vraies et valables. Pour illustrer cela, prenons l’exemple de deux élèves dans un cours de chimie :
Personne A : Personne A est une Canadienne de dixième génération dont les parents sont éduqués et ont le temps de l’aider avec ses devoirs et de lui fournir du renforcement positif. Personne A aime les cours de chimie et a hâte d’aller à chaque classe. Elle maîtrise assez bien la matière et son enseignant lui présente constamment les découvertes de chimistes qui lui ressemblent. Pour Personne A, la classe de chimie est un endroit merveilleux où elle peut y côtoyer ses ami.e.s et apprendre tranquillement.
Personne B : Personne B est une Canadienne de deuxième génération dont les parents n’ont pas fréquenté le système scolaire canadien et ne parlent ni le français ni l’anglais. Ses parents n’ont donc pas pu lui fournir beaucoup d’aide pour faire ses devoirs. Personne B n’aime pas les cours de chimie. Elle comprend correctement la matière, mais ne s’identifie pas au contenu et trouve l’enseignant.e inefficace. Elle ne se voit pas devenir chimiste, et cette idée ne lui a même jamais traversé l’esprit. Pour Personne B, la classe de chimie est un endroit stressant où elle doit mettre deux fois plus d’efforts pour obtenir la moitié de la récompense.
Personne A et Personne B vont à la même école et sont dans le même cours de chimie – le même espace géométrique –, mais en réalité, elles se trouvent dans deux espaces conceptuels différents, aussi valables l’un que l’autre.
Espace perçu : Personne A et Personne B partagent le même espace perçu. Elles utilisent les mêmes instruments, écoutent le.la même enseignant.e et voient les mêmes quatre murs.
Espace conçu : Personne A et Personne B ont des espaces conçus différents. Personne A peut se projeter dans la matière et se reconnaître dans les chimistes dont on lui parle. Ses vécus lui permettent de participer sans difficulté aux activités scolaires et les racines de sa famille dans la région et la communauté l’aident à nouer des amitiés. Personne B, au contraire, ne porte pas les identités requises pour se projeter dans la matière, ce qui rend celle-ci plus abstraite et moins pertinente. Comme sa famille est relativement nouvelle dans la communauté, Personne B éprouve de la pression pour réussir, sachant qu’elle n’a pas d’autres options à sa disposition.
Espace vécu : Personne A et Personne B ont des espaces vécus différents en raison de tout ce qui les distingue sur le plan des expériences de vie, des ambitions de carrière, des habitudes d’étude, du statut socio-économique, de l’aptitude aux études, etc. La combinaison de tous ces facteurs détermine la signification qu’attribue chaque élève à la classe de chimie et la façon dont chaque personne se sent dans cet espace.
La triplicité de l’espace nous outille avec la capacité d’engager dans des véritables conversations avec les gens qui vivent des réalités différentes que nous, car elle nous permet de distinguer les dimensions communes et distinctes de l’expérience de chacun.e. En reconnaissant les dimensions problématiques, nous sommes ainsi doté.e.s du pouvoir de modifier l’espace conceptuel pour mieux accueillir et côtoyer la diversité dans la pièce. Dans notre exemple du cours de chimie, si l’enseignant.e prend conscience que les difficultés vécues par Personne B sont ancrées dans son espace conçu, iel peut donc faire l’effort de modifier les aspects socioculturels du cours pour faciliter l’apprentissage de son élève. Par exemple, l’enseignant.e peut s’informer sur l’importance de la représentation dans un milieu d’apprentissage et intégrer dans son enseignement les réussites de chimistes qui ressemblent à Personne B. Pour aller plus loin, l’enseignant.e pourrait jumeler Personne B avec un.e élève qui excelle en chimie et qui pourra l’aider à faire ses devoirs.
Antiracisme en STIM
- Questions pratiques
- Mot de bienvenue d’Actua
- Introduction
- 1. Identité et intersectionnalité
- 2. Positionnement et vision du monde
- 3. Discrimination
- 4. Identité blanche et STIM
- 5. Racisme systémique et anti-racisme
- 6. Racisme en STIM
- 7. Racisme dans la salle de classe
- 8. La responsabilité ancestrale et la solidarité
- 9. Privilège
- 10. Intervention et résolution de conflits auprès …
- 11. Décolonisation de l’enseignement et des STIM
- Réflexion guidée
- Sondage
- Biographies et Coordonnées
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