4. Identité blanche et STIM

Section 4: Identité blanche et STIM

Histoire de l’identité blanche

Au Canada, nous sommes tellement imprégné.e.s de la culture américaine et de ses références que nous confondons de plus en plus la race avec l’ethnicité et la culture. Bien que l’ethnicité désigne l’appartenance à un groupe social ayant des traditions nationales ou culturelles communes, on utilise parfois le terme « race » comme synonyme parce qu’on associe certaines cultures à certaines races. Par exemple, en percevant tous.te.s les Européen.ne.s comme blanc.he.s et la culture européenne comme blanche, on oblitère tou.te.s les Européen.ne.s non blanc.he.s qui font partie de cette culture.

Aux États-Unis, les notions d’ethnicité et de race sont fortement liées, car certains groupes sont caractérisés par leur race, par exemple, les Afro-Américain.e.s qui partagent une langue (l’anglais vernaculaire afro-américain), des traditions culinaires, des pratiques culturelles (comme la fête du Kwanzaa), etc. Vu que la population afro-américaine peut être définie à la fois par sa race et par son ethnie, certain.e.s en déduisent qu’il existe une « culture blanche » ou une « ethnicité blanche » sans réaliser qu’il s’agit d’un présupposé fondamentalement raciste.

L’appartenance à la catégorie des Blanc.he.s est un construit social, politique et historique visant à consolider le pouvoir (politique ou institutionnel) justifié par des mécanismes comme la religion et l’idéologie. Être blanc.he n’est pas lié.e à la couleur de peau. Prenons l’exemple de la Nouvelle-Écosse, où une bonne partie de la population aujourd’hui reconnue comme blanche n’était pas considérée comme telle autrefois.

Comme son nom l’indique, la Nouvelle-Écosse a été colonisée par des peuples provenant de l’Écosse et de l’Irlande. Ces peuples s’appelaient les Gaël.le.s, qui était un terme associé à leur langue commune: le gaélique. Bien qu’elles.ils.iels soient « blanc.he.s » en terme de couleur de peau, elles.ils.iels ont longement été considéré.e.s comme des « non-blanc.he.s » en terme d’identité, puisque leur langue, leur culture et leurs origines n’était pas associé à la « blancheur » de l’identité canadienne anglaise, qui était majoritaire dans le pays à l’époque. Tout comme bien d’autres peuples autochtones ou francophones au Canada, les Gaël.le.s ont été victimes d’assimilation par le pouvoir sociopolitique anglais, qui était associé à l’identité blanche. En 1800, jusqu’à 100 000 personnes parlaient le gaélique, ce qui faisait que cette langue était la deuxième langue la plus parlée au Canada. Dans les années 1872, l’État rend l’éducation obligatoire pour les enfants entre 5-13 ans dans la langue anglaise, forçant alors les élèves à étudier en anglais seulement. Afin de pouvoir offrir un meilleur avenir à leurs enfants, les parents n’ont pas eu d’autre choix que de se conformer aux normes de l’époque, puisque la langue gaélique était associée à la pauvreté et à la ruralité. Il s’agit d’une tentative qui a été utilisée à plusieurs reprises par l’État à l’époque pour procéder à l’effacement de plusieurs langues, y compris celle du gaélique. Cette stratégie d’assimilation institutionnelle a grandement servi au déclin du gaélique au Canada, si bien qu’aujourd’hui, il ne reste que quelques personnes qui parlent couramment le gaélique. En 2011, on estime environ 1 035 personnes parlent couramment, dont seulement 415 personnes ayant le gaélique comme langue maternelle dans la province. Heureusement, vers la moitié du 20e siècle, les écoles ont permis à conserver la langue gaélique, en offrant des cours en gaélique comme langue maternelle, et en offrant des cours de gaélique pour celles.ceux.celleux qui veulent apprendre cette langue (source et source).

Alors, si l’identité blanche ne renvoie pas à la couleur de peau, que signifie-t-elle?

Pierre Tvaniant définit l’identité blanche ainsi: « “Être blanc.he, c’est avant tout ne pas subir la discrimination comme les non-Blanc.he.s la subissent. Ce n’est pas avoir une certaine couleur mais occuper une certaine place – un certain rang social.” Blanc.he n’est en effet pas une catégorie raciale, mais une catégorie sociale. La race est, comme la classe et le sexe, une construction sociale, et le racisme, comme l’oppression de classe et l’oppression de genre, s’incarne dans une souffrance sociale:  ne pas trouver d’emploi ou de logement parce qu’on est noir.e ou arabe, être exclue de l’école parce qu’on porte un voile, etc… ». (citée dans Tévanian, 2013, p.23-33)

L’identité blanche désigne avant tout un pouvoir, plutôt qu’une culture ou des caractéristiques communes. L’identité blanche cherche à absorber l’excellence pour que « blanc.he » devienne synonyme d’« excellent.e ». C’est pourquoi certains groupes sont intégrés à l’identité blanche au fur et à mesure qu’ils s’adaptent et s’assimilent à la culture dominante. Ce fut le cas des Irlandais.es et des Italien.ne.s qui sont arrivés au pays à travers l’engagisme et qui ont acquis leur identité blanche au fil du temps. Les Acadien.ne.s, au contraire, étaient blanc.he.s à leur arrivée, mais, lorsque leur culture a cessé d'être dominante, elles.ils.iels  se sont fait dépouiller de leur identité blanche par les Britanniques, qui les ont éventuellement déporté.e.s pour consolider leur pouvoir sur le territoire. Les francophones au Canada, quant à eux, ont été qualifié.e.s de « nègres blanc.he.s » et se faisaient répondre de « speak white » lorsqu’elles.ils.iels parlaient français.

Au Canada, l’affirmation de la souveraineté des peuples autochtones et l’augmentation du multiculturalisme sous la poussée de l’immigration ont graduellement mis en péril l’identité blanche. C’est pourquoi cette catégorie a été élargie pour inclure les populations d’origine irlandaise et italienne, les locuteur.ices.s du gaélique et les francophones (comme les Acadien.e.s). Aujourd’hui, l’identité blanche cherche encore à prendre de l’expansion en incorporant les Asiatiques. Par exemple, dans l’État de Washington, une commission scolaire a commencé à inclure les élèves asiatiques parmi les personnes blanches, plutôt que parmi les personnes de couleur, ce qui démontre, selon plusieurs activistes, que les élèves sino-américain.e.s « profitent de la suprématie blanche » et de leur proximité avec le « privilège blanc ». Aux États-Unis et au Canada, de nombreuses personnes d’origine asiatique contestent vivement ce point de vue en rappelant le racisme horrible dont elles ont été et sont encore victimes.

Selon le chercheur Maxime Cervulle, à l’Université de Paris-VIII, être blanc.he est un concept qui associe la « blancheur » à la perception d’un « rapport de pouvoir » et à « la pureté, la neutralité et l’universalité », provenant des fondements idéologiques racistes ancrés dans l’histoire de la société. 

L’identité blanche en STIM

L’identité blanche en STIM provient de l’idée que tout ce qui est excellent est le produit de personnes blanches et qu’être blanc.he est une condition du progrès. À preuve, dans le système d’éducation, on célèbre les réalisations en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques des personnes blanches, alors que celles des personnes non blanches se trouvent progressivement effacées. Pensons à Alan Turing, considéré comme l’inventeur de la programmation moderne. Cet homme blanc gai est honoré pour son identité blanche, soit son excellence en programmation, mais son identité allosexuelle est souvent écartée de l’histoire de son invention parce qu’elle ne cadre pas avec la représentation du pouvoir social. Par conséquent, cela empêche les élèves allosexuel.le.s en STIM de s'identifier à ce domaine et de savoir qu’avant eux des allosexuel.le.s ont beaucoup contribué à la science moderne. Cela empêche aussi les personnes hétérosexuelles en STIM d’associer l’identité allosexuelle à l’excellence et de reconnaître l’apport des membres allosexuel.le.s de la société à l’avancement des STIM. 

C’est communément admis que Thomas Edison a inventé l’ampoule, mais peu de gens savent que c’est un inventeur afro-américain, Lewis Latimer, qui a permis de prolonger la durée de vie et la commodité de celle-ci en utilisant un filament de carbone. Avant cette innovation, les ampoules brûlaient en quelques jours seulement. Latimer a créé son invention à la U.S. Electric Lighting Company, où il était en concurrence directe avec Edison en 1880. Il est allé travailler avec Edison à l’Edison Electric Light Company en 1884. Avez-vous entendu parler de lui en même temps que d’Edison dans vos cours de sciences ou de génie?

Plusieurs découvertes modernes dépendent des travaux d’un pionnier de l’algèbre au neuvième siècle, le mathématicien perse, Muhammad Al-Khwarizmi. Or, peu de mathématicien.ne.s et d’ingénieur.e.s le connaissent aujourd’hui. Pourquoi? Il a pourtant créé les équations utilisées pour faire avancer les mathématiques et le génie. Si on connaît Archimède, René Descartes et Isaac Newton, rien ne justifie que Muhammad Al-Khwarizmi ne soit pas également célèbre. 

La représentation ne vise pas seulement à apaiser les groupes racisés et marginalisés. Les STIM reflètent les personnes qui ont aidé le Canada et le reste du monde à progresser et celles qui ne l’ont pas fait. Les STIM ne sont pas uniquement blanches, et ne l’ont jamais été. Elles peuvent contribuer à faire du multiculturalisme la norme sociale dans tous les domaines. Si on leur présente des exemples d’inventeur.rice.s, de scientifiques et d’ingénieur.e.s non blanc.he.s dans les cours de STIM, les enfants blanc.he.s ne seront pas surpris plus tard de croiser des personnes d’origines diverses en STIM. 

« Précisons d’emblée que l’idée selon laquelle les différences socio-économiques, culturelles et politiques entre les groupements humains puissent reposer en tout ou en partie sur des disparités biologiques et génétiques a été largement récusée par la majorité des chercheurs en sciences sociales. Par contre, si la race biologique n’a aucune valeur explicative sur le plan sociologique, on ne peut en dire autant de la « race sociale », c’est-à-dire la race socialement construite. Plus encore, les préjugés et la discrimination fondés sur la race, ainsi que les inégalités qui en découlent, nous rappellent que la race, bien qu’étant originellement une fiction idéologique, n’en a pas moins des effets sociaux bien réels, qui ne peuvent en aucun cas être négligés par les chercheurs. » 

- Daniel Ducharme et Paul Eid (source)


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